Katier Bamba (Wave Côte d’Ivoire): «Nous n’avons pas à être des concurrents des banques, mais des partenaires»

Transferts d’argent, inclusion financière, nouveaux services, frais des transactions, concurrence avec les banques, développement en Afrique de l’Ouest : Katier Bamba, directeur général de Wave Côte d’Ivoire, nouvel acteur majeur du paiement mobile, dévoile sa stratégie et dénonce le niveau de taxation.

RFI : Wave Côte d’Ivoire a décollé en Côte d’Ivoire en 2021 et est désormais installé dans le paysage du mobile money. Quel bilan faites-vous de cette période ?

Katier Bamba : Wave a réussi à prendre sa place sur le terrain du « mobile money », essentiellement en s’appuyant sur une technologie fiable, sur une application, ce qui se faisait très peu historiquement. Cette application permet d’avoir l’historique des transactions, de savoir ce que l’on va payer et de faciliter l’expérience client qui est vraiment au cœur de toute notre stratégie. À cela s’ajoutent des mesures au niveau de la tarification où l’on a été plus agressif et qui nous ont permis de pénétrer très fortement le marché. Nous avons réussi à ouvrir un peu plus de 18 millions de comptes.

Le défi reste le taux d’activité de ces comptes, ce que l’on espère améliorer au travers de nouvelles innovations. En plus des services classiques de transfert d’argent de personne à personne, nous avons mis en place un certain nombre de services au profit des entreprises pour le paiement de salaires, notamment les plus faibles, mais aussi des solutions de collecte pour les entreprises. Puis, nous sommes capables de permettre des paiements marchands et ça, c’est vraiment l’avenir.

Votre idée est d’établir des partenariats avec la grande distribution et de s’implanter dans le système d’épargne. Pourquoi ?

Nous travaillons effectivement avec les grands acteurs de la distribution comme Procash, Prosuma, Promocash, Carrefour. Nous travaillons également avec des acteurs comme Burger King et d’autres chaînes dans la restauration, des dizaines de pharmacies et on est en train d’intégrer des acteurs du commerce de taille un peu plus modeste. L’idée, c’est de multiplier ces partenariats, mais aussi de regarder d’autres acteurs dans les services financiers. Il y a beaucoup de choses à mettre en place en matière de produits d’épargne, de crédit, d’assurance. Il y a de réels besoins au niveau de la population.

Est-ce que l’idée est d’entrer dans une concurrence frontale avec les banques ou alors de travailler avec elles ?

Nous n’avons pas à être des concurrents des banques, mais des partenaires. Notre business, ce sont les dépôts qui sont effectués par les clients avec leur contrepartie monétaire que l’on doit déposer sur les comptes d’une banque. L’ensemble de nos avoirs en Côte d’Ivoire sont chez Orabank et UBA. Et si vous prenez le Sénégal où nous sommes un émetteur de monnaie électronique, ces fonds sont déposés dans toute une série de banques. Donc, nous sommes un agent de collecte de liquidités additionnelles pour les banques, ce qui permet de renforcer leur bilan. Nous touchons le bas de la pyramide socio-économique qui est très peu touchée par le secteur bancaire.

L’inclusion financière est vraiment nécessaire dans le contexte économique d’inflation, surtout pour ceux qui touchent le moins d’argent. Que pouvez-vous faire pour eux ?

Nous sommes le premier pas, parce que nous permettons à monsieur et madame Tout-le-monde d’avoir accès à un compte, d’y déposer de l’argent. Nous avons réussi à faire venir dans notre système beaucoup de personnes qui étaient là jusque-là dans le secteur informel. Mais, pour aller plus loin, il faut qu’elles soient encouragées avec un niveau de taxation qui soit en proportion avec les revenus qui découlent de cette activité.

Vous trouvez que le niveau de taxation est trop fort ?

Il faut que l’on s’assure que les droits de timbre, notamment sur les dépôts les plus faibles, n’existent pas ou qu’ils soient considérablement réduits. Si vous avez quelqu’un qui dépose 1 000 francs par jour et que vous lui prenez un droit de timbre de 100 francs, ça fait 10% de ce qu’il dépose. Moi, en tant qu’opérateur, je ne gagne pas 10%. Donc si on a un niveau de taxation qui est supérieur à ce que gagnent les acteurs du secteur, ça peut poser un problème économique, mais surtout ça peut faire faire reculer l’inclusion financière.

Il y a pas mal de débats en Côte d’Ivoire sur les prix de vos services, les frais des transactions. Les propriétaires de points de vente disent que leurs commissions et leurs rémunérations ont baissé. Que leur répondez-vous ?

Nous répondons que Wave est soucieux de la situation de ces agents-là. Nous avons autour de 15 000 points de service. Ce sont des acteurs-clé dans notre proposition de valeur parce qu’ils permettent de rapprocher notre service des clients sur l’ensemble du territoire. Nous garantissons une certaine distance entre les différents points pour avoir des zones de chalandise très attractives pour ces détenteurs de points de service.

La stratégie de tarifs qui a été mise en œuvre devrait permettre aux points de vente de gagner un peu plus parce que nous sommes en train d’investir massivement dans des innovations, notamment le paiement. Mais, il y a d’autres services qui viendront s’ajouter en partenariat avec des banques, des assurances, des gestionnaires d’actifs. Ces innovations permettront d’augmenter les volumes. Plus il y a de dépôts, plus il y a de retraits et plus les agents sont rémunérés.

Pour eux, nous avons aussi mis en place un système d’assurance-santé avec versement d’une prime en cas de décès. Nous nous sommes aperçus de leurs difficultés à faire face aux dépenses de santé, liées au fait que malheureusement, quand on manipule de l’argent, il y a des agressions.

Parmi vos projets : intégrer Wave dans le contexte régional et permettre que l’argent circule mieux en Afrique de l’Ouest. Un vrai défi.

Aujourd’hui, le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont les deux pays où l’on est le plus fort, mais on est également présent au Mali, au Burkina Faso, ainsi que dans la zone anglophone, en Gambie et un peu plus loin en Afrique de l’Est, en Ouganda. Sur l’Afrique de l’Ouest, la zone UEMOA, grâce à sa monnaie unique, offre des possibilités très importantes. Donc, il n’est pas impossible que l’on s’étende dans d’autres pays en fonction des opportunités qui se présenteront. Mais déjà, nous favorisons l’intégration régionale avec la possibilité pour les clients d’effectuer des transferts de personne à personne entre la Côte d’Ivoire et le Mali, la Côte d’Ivoire et le Burkina, la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

Que va changer la mise en place de la Zlecaf, la zone de libre-échange continentale ?

Cela devrait être quelque chose de très intéressant pour nous, et on va essayer d’en tirer un maximum de profits, toujours en respectant ce qui a fait notre succès : la qualité de l’expérience client.

Le ministre de l’Économie Amadou Coulibaly a dit récemment que le pays était prêt à accueillir une future licorne, une entreprise dépassant le milliard de dollars de valorisation. Êtes-vous d’accord ? Est-ce que la Côte d’Ivoire peut être précurseuse dans le domaine de la tech en Afrique ?

Oui, clairement, la Côte d’Ivoire a des atouts. Nous avons un système de formation qui est très bon. Des universités, des grandes écoles d’ingénieurs de qualité. Chez Wave, nous avons des ingénieurs qui travaillent au quotidien avec d’autres qui viennent des États-Unis, de Facebook par exemple. À côté de ça, vous avez un écosystème de services financiers, plus d’une vingtaine de banques, un peu moins pour les assurances.

On a un marché d’environ 30 millions de personnes. C’est la première économie de l’UEMOA avec beaucoup de pays voisins, une très forte immigration qui est une source d’opportunités pour les transferts internationaux vers les pays d’origine. Ce sont les bases pour faire émerger des acteurs à très fort potentiels.

TV5monde

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