Les dynasties du nord du Nigeria : une histoire de puissance et d’entre-soi

Ils s’appellent Dangote, Sanusi, Mangal, Indimi, Yar’Adua ou Buhari… Ils se connaissent, se fréquentent et se marient, nouant des alliances à toute épreuve. Perpétuant aussi une influence politique et économique considérable.

Nous sommes en 2015, dans l’État de Sokoto, dans le nord-ouest du Nigeria. Les électeurs s’apprêtent à désigner leur nouveau président (leur choix se portera sur Muhammadu Buhari), mais aussi leurs députés et leurs gouverneurs. À Sokoto justement, le poste de gouverneur est particulièrement convoité : Aminu Tambuwal, le président de la Chambre des représentants qui porte les couleurs du All Progressives Congress (APC, au pouvoir), affronte Abdallah Wali du Peoples Democratic Party (PDP, opposition).
Entre les deux hommes, une femme que le résultat du scrutin indiffère sans doute : Hajiya Mariya. Tambuwal est son mari et Wali, son frère aîné. Une configuration étonnante, qui illustre la complexité des liens qui unissent les membres de l’élite musulmane dans le nord du pays.

Nous sommes cette fois en 2020. L’influent – et médiatique – Lamido Sanusi est destitué de ses fonctions d’émir de Kano par les autorités locales, qui lui reprochent ses positions critiques. Le voilà contraint de quitter sans délai le palais qu’il occupait avec sa famille. Bientôt, son successeur y pose ses valises : Aminu Ado Bayero, son beau-frère (il est apparenté à la première épouse de Lamido Sanusi) et cousin germain.

Une question de classe

Dans le nord du Nigeria peut-être encore plus qu’ailleurs, le mariage scelle souvent une alliance politique, voire économique. Dans l’État de Yobe (Nord-Est), le gouverneur Mai Mala Buni a épousé Umi, la fille de son prédécesseur et parrain politique, Ibrahim Gaidam, au lendemain de son investiture, cimentant ainsi leur union politique. Plus tard, il ajoutera Gumsu Abacha, la fille de l’ancien chef de l’État, Sani Abacha, à la liste de ses épouses.

« Les enfants des élites qui se marient entre eux, c’est une question de classe, résume Samaila Suleiman, de l’université Bayero à Kano. C’est une manière de consolider leur hégémonie politique tout en promouvant et en protégeant des intérêts particuliers. »

Ces mariages entre cousins et alliés ne sont pas sans rappeler ces pratiques qui ont si longtemps perduré en Europe, notamment au sein de l’aristocratie. Dans le nord du Nigeria, certaines dynasties puissantes se sont constituées de la même manière, et le fait que l’islam autorise la polygamie n’a fait que décupler le phénomène.

Magnat du pétrole

Dans l’État de Borno, le magnat du pétrole Mohammed Indimi, fondateur d’Oriental Energy Resources, est en train de créer une nouvelle dynastie en mariant certains de ses vingt enfants à des personnalités haut placées. En 2004, sa fille Rahama a épousé Mohammed, le premier fils de l’ancien président Ibrahim Babangida, celui-là même qui, quatorze ans plus tôt, lui avait accordé une licence de prospection pétrolière. En 2016, son fils Ahmed a épousé Zahra, la fille de Muhammadu Buhari, à la tête du pays entre 2015 et 2023. Le mariage s’est déroulé dans l’enceinte même de la villa présidentielle.

Trois ans plus tôt, une autre des filles d’Indimi, Rukaiya, avait épousé un membre de la famille Dantata, l’une des plus riches du Nigeria dont le patriarche, Usman Dantata, est également le grand-père maternel de l’homme le plus riche d’Afrique, Aliko Dangote. Quant à sa fille Adama, un temps éprise du musicien D’Banj, elle a fini par revenir à la raison en épousant Malik Ado Bayero, le prince de Kogi, un homme d’affaires prospère qui s’est présenté à la dernière élection présidentielle.

La plus jeune fille d’Indimi, Hauwa, s’est unie à Muhammad Yar’Adua, fils du riche ancien directeur général de la compagnie pétrolière nationale du Nigeria, Lawal Yar’Adua. Et ce n’est pas tout : Mustapha Indimi s’est lui marié à Fatima Sheriff, la fille du législateur fédéral Muhammad Nur Sheriff, frère de l’ancien gouverneur Ali Modu Sheriff, l’un des hommes politiques les plus riches de l’État de Borno.

Aristocratie du Nord

Dans la famille Indimi, la liste parait sans fin, puisqu’en 2016, un autre fils, Jibrilla, a épousé la princesse Hadiza, fille de l’émir de Zazzau, Shehu Idris, l’un des chefs traditionnels les plus puissants du Nord. Amina, une autre de ses filles, a épousé Mohammed, le premier fils d’un aristocrate qui fut aussi ministre de l’Énergie, Bashir Dalhatu.

La famille Indimi a beau être un cas d’école, elle est loin d’être un cas isolé. Les Yar’Adua, autre dynastie du nord du Nigeria, ne sont pas en reste. Le patriarche de la famille était Musa Yar’Adua, dont l’oncle était l’émir de Katsina, Muhammadu Dikko, et la mère la princesse Binta. Son père était le trésorier de l’émir et portait le titre de Mutawallin Katsina.

Musa Yar’Adua a épousé Aya Dada, avant de devenir parlementaire et ministre en 1963. Son premier fils, Shehu, s’est engagé dans l’armée et est devenu vice-président du pays sous le régime militaire d’Olusegun Obasanjo entre 1976 et 1979. Plus tard, il fera office de mentor pour toute une génération d’hommes politiques, dont Bola Tinubu – aujourd’hui à la tête du pays – et Atiku Abubakar, ancien vice-président du Nigeria.

Le deuxième fils de Musa Yar’Adua, Umaru, est devenu gouverneur de l’État de Katsina, puis président du Nigeria entre 2007 et 2010. Deux mois après le début de son mandat, sa fille Zainab a épousé Usman Dakingari, gouverneur en exercice de l’État de Kebbi. Trois mois plus tard, une autre fille de Yar’Adua, Nafisat, a épousé le gouverneur en exercice de l’État de Bauchi, Isa Yuguda. Après la mort de Yar’Adua en mai 2010, l’ancien gouverneur de l’État de Katsina, Ibrahim Shema, a épousé la fille aînée du défunt, Maryam. En d’autres termes, les trois filles de Yar’Adua sont toutes mariées à d’anciens gouverneurs, trois familles politiques ayant ainsi uni leurs destinées.

Tous liés par le mariage

Et que dire de Modu Sheriff, ancien bras droit de l’émir de Borno ? Son fils aîné est l’ancien gouverneur Ali Modu Sheriff de l’État de Borno, l’un des hommes politiques les plus riches de la région. Un autre de ses fils, Babagana, est marié à la fille de Muhammadu Buhari, Halima. Quant à Muhammed Kur Sheriff, c’est un parlementaire et homme d’affaires prospère. Ce dernier, en plus d’avoir uni une de ses filles à la famille Indimi, en a donné une autre en mariage à Shehu Yar’Adua l’année dernière, lors d’une cérémonie somptueuse à laquelle a assisté Muhammadu Buhari. Autrement dit, les Sheriff, les Yar’Adua, les Indimi et les Buhari sont tous liés par le mariage.

La famille Mangal n’est pas en reste. Dahiru Mangal est un industriel millionnaire de la ville de Katsina, à la tête de Max Air et de Mangal Industries. En 2016, le fils de Mangal, Lawal, a épousé la fille du gouverneur de l’État de Jigawa, Amina Badaru. Quatre ans plus tard, la fille de Mangal, Amina, a épousé Najib, le fils du gouverneur de Sokoto de l’époque, Aminu Tambuwal.

Noces somptueuses

Chez les Buhari, c’est Nana Hadiza, la fille de l’ancien président, qui est mariée à l’ancien procureur général Abubakar Malami. Une autre de ses filles, Hanan, a épousé Turad Sha’aban, le fils d’un ancien législateur fédéral de l’État de Kaduna, Sani Mahmoud Sha’aban. Quant à son fils unique, Yusuf, il a épousé Zarah, la fille de l’émir de Kano, Nasir Ado Bayero, lors d’un somptueux mariage en 2021.

Même chose chez les Dangote. Fatima, la fille de l’homme le plus riche d’Afrique, a épousé Jamil Mohammed Abubakar, le fils de l’ancien chef de la police, MD Abubakar, lors d’un mariage somptueux célébré en 2018 en présence, notamment, de Bill Gates. Une autre fille de Dangote, Halima, est mariée au fils de l’ancien gouverneur militaire Sani Bello.

Jaafar Jaafar est l’éditeur du groupe de presse Daily Nigerian, en même temps qu’un excellent connaisseur de l’histoire et de la politique de cette partie du Nigeria. Il explique que les mariages entre les grandes familles musulmanes se pratiquent depuis des siècles. « Dans le Nord, le mariage est un moyen d’approfondir les liens de parenté entre les émirats, résume-t-il. Autrefois déjà, il permettait de mettre fin aux guerres, comme celle qui opposa les émirats de Sokoto et de Borno. »

« Aujourd’hui, les enfants des familles riches fréquentent les mêmes écoles et appartiennent aux mêmes organisations sociales, ce qui leur permet de rester entre eux et de nouer des relations susceptibles de déboucher sur un mariage, ajoute-t-il. Il n’est pas facile pour un enfant d’une famille pauvre de croiser le chemin de l’un de ses enfants de riches. »

jeuneafrique

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