De 28 à 7 jours pour quitter son hébergement : au Royaume-Uni, des réfugiés se retrouvent sans-abri

Une centaine d’associations alertent le gouvernement britannique, ce mardi 5 septembre, sur un nombre croissant de réfugiés sans-abri. En cause : un récent changement dans le délai accordé aux demandeurs d’asile qui obtiennent leur statut de réfugié pour quitter leur hébergement et trouver un logement.

Cent-quarante organisations britanniques, parmi lesquelles la Croix-Rouge, Shelter, Crisis ou encore le Refugee Council, alertent sur le nombre croissant de réfugiés se retrouvant sans-abri dans un courrier adressé le 5 septembre à la ministre de l’Intérieur Suella Braverman et au secrétaire d’État au logement Michael Gove.

Ces dernières semaines, les associations ont constaté, sur le terrain, des changements dans les délais accordés aux demandeurs d’asile dont le statut de réfugié vient d’être reconnu pour basculer vers le logement. Cette évolution plonge les personnes « dans la misère et l’errance, au lieu de recevoir le soutien et la protection auxquels elles ont droit », exposent les associations dans leur lettre.

Un délai souvent réduit à « sept jours »
D’ordinaire, les demandeurs d’asile obtenant leur statut de réfugié ont 28 jours pour quitter leur lieu d’hébergement – qu’il s’agisse d’une structure d’accueil ou d’une chambre d’hôtel – financé par le Home Office (l’équivalent britannique du ministère de l’Intérieur).

Jusqu’ici, ces 28 jours étaient décomptés à partir du moment où, suite à la notification de la décision positive, les personnes recevaient leur Biometric Resident Permit (BRP). Cette carte d’identité, mentionnant leur statut de réfugié et leur droit au séjour, est nécessaire pour accéder au logement, à un compte bancaire, ou encore aux aides sociales.

Sauf que depuis quelques semaines, ce compte à rebours est enclenché par l’administration dès la notification de la décision positive. Avant même, donc, la réception du BRP, qui peut mettre deux à trois semaines pour arriver à son destinataire.

À cause de ce changement de pratique, doublé des lenteurs de l’administration dans la délivrance du BRP, le délai pour déménager est la plupart du temps réduit à « sept jours », affirment les associations signataires du courrier.

De l’hôtel aux couloirs d’un aéroport
Conséquence : le nombre de réfugiés se retrouvant à la rue explose, témoignent les associations, placées sous une pression inédite pour les accompagner.

Hope at Home, une organisation soutenant les victimes de l’esclavage moderne, connaît un taux de référencement cinq fois plus élevé qu’à la même période en 2022. « Sur les 16 personnes qui nous ont été référées en août 2023, six avaient reçu une notification d’expulsion avec seulement sept jours pour trouver un autre logement », indique Jared Hodgson, directeur de Hope at Home, à The Independent. « Tous sont désormais très probablement soit en train de squatter sur un canapé, soit en situation de sans-abrisme ». L’association n’a pas pu les mettre à l’abri, leur réseau d’hébergeurs solidaire étant limité.

L’association Refugees at Home, dédiée à l’hébergement solidaire, s’est vue orienter 213 réfugiés en août 2023, contre 72 en août 2022, rapporte encore le quotidien britannique. Soit trois fois plus. Parmi eux, Reet, une femme éthiopienne de 41 ans, forcée de dormir à la porte de l’hôtel dont elle venait de se faire expulser. Ou encore un Soudanais se retrouvant à dormir dans les couloirs d’un aéroport.

« Nous encourageons les individus à planifier leur avenir dès que possible après avoir reçu leur décision », soutient un porte-parole du Home office auprès de The Independent. « La pression sur le système d’asile a continué de croître » justifie-t-il, avant d’ajouter : « l’hébergement à l’hôtel coûte un montant inacceptable de 6 millions de livres sterling par jour ».

La pression « a continué de croître » justifie le Home Office
« Même si nous comprenons le besoin urgent de déplacer les gens des hôtels vers des logements plus appropriés, le moyen d’y parvenir n’est pas de les expulser vers le sans-abrisme », estime de son côté Bridget Young, directrice de l’ONG anglaise NACCOM (No Accomodation Network).

Ces derniers mois, le gouvernement a beaucoup communiqué autour de la pression sur l’hébergement hôtelier, où patientent les demandeurs d’asile. Fin mars, un plan national pour transférer vers le logement les 9 000 Afghans restants dans des hôtels, depuis la chute de Kaboul en août 2021, avait été annoncé. Les autorités locales doivent leur fournir une seule et unique proposition de logement. Fin juillet, le gouvernement leur a demandé « d’intensifier » le rythme des transferts.

Sauf que les autorités locales peinent à suivre ce rythme et nombre d’Afghans se retrouvent à se débrouiller seuls. Selon la Local Government Association (LGA, l’association des collectivités locales), un Afghan sur cinq se déclare sans domicile fixe auprès des autorités locales, après avoir dû quitter son hébergement dans le cadre des évictions ordonnées par le Home Office. Sans compter les exilés qui ont pu sortir des radars des conseils locaux en quittant leurs hôtels.

Les hôtels n’ont « jamais été pensés comme une solution durable », s’était défendu Johnny Mercer, ministre du gouvernement chargé des anciens combattants, qui porte ce dossier.

Les associations réclament un délai rallongé à 56 jours
Les organisations signataires du courrier constatent à nouveau, avec la restriction du délai laissé à l’ensemble des réfugiés, le décalage entre les exigences du Home Office et les capacités des autorités locales. Ces dernières « n’ont pas été informées des nouvelles dispositions, ce qui signifie qu’elles ne sont pas prêtes à réagir rapidement », écrivent les 140 organisations. De quoi mettre des « pressions inutiles » sur ces autorités, « qui ont déjà du mal à trouver un logement pour d’autres groupes de population ».

Les associations demandent donc un retour à la règle qui prévalait sur le délai des 28 jours. À savoir, ne pas démarrer le compte à rebours avant l’obtention de la carte d’identité.

Reste que ce délai était déjà jugé insuffisant par de nombreuses organisations. « Il est extrêmement difficile pour les réfugiés de trouver un logement et d’obtenir une aide financière » dans ce laps de temps, rappelle le Refugee Council dans son communiqué paru mardi.

Ali Martin, réfugié du Sierre Leone, témoignait fin 2022 de ces difficultés : « une association a contacté le conseil local en mon nom. Ils m’ont conseillé d’attendre cinq jours ouvrables. Personne ne m’a contacté, j’ai attendu, j’ai rappelé le conseil local (…) toute la journée, personne n’a répondu », racontait-il alors au Refugee Council. « J’ai écrit un e-mail, joint mon avis d’expulsion, je suis aveugle, je vais être sans-abri (…) Quel sera mon sort ? ».

Les 140 organisations demandent donc au gouvernement de travailler sur une extension du délai à 56 jours. Ces 56 jours correspondent au délai jugé raisonnable pour trouver un logement, fixé par le Homelessness Reduction Act (loi de réduction du sans-abrisme), une feuille de route ratifiée par le gouvernement britannique en 2017.

Le gouvernement doit permettre aux réfugiés « de reconstruire leur vie en leur donnant beaucoup plus de temps pour s’installer, avec un soutien approprié et en leur permettant de travailler après six mois passés dans le système d’asile », conclut Enver Solomon, directeur exécutif du Refugee Council.

infomigrants

You may like