Marine Le Pen : l’ultradroite, ce gros caillou dans sa chaussure

National Assembly parliamentary group President for the French far-right Rassemblement National (RN) party Marine Le Pen attends a session of questions to the government at The National Assembly in Paris on May 2, 2023. (Photo by Bertrand GUAY / AFP)

La future candidate RN à la présidentielle fait tout pour se délester des liens qui uniraient son parti à des groupuscules d’extrême droite, or il existe toujours une porosité entre les jeunes frontistes et ces mouvements radicaux.

« Français, réveille-toi ! Tu es ici chez toi ! ». Le slogan, clamé dans les rues de Lyon par des jeunes habillés de noir, fumigènes à la main, résonne familièrement aux oreilles des frontistes. Pendant la campagne présidentielle, les meetings de Marine Le Pen se clôturaient régulièrement au son d’un « On est chez nous ! » scandé d’une même voix par ses sympathisants. Cette fois-ci, la formule est reprise par des militants d’ultradroite encagoulés, barres de fer à la main, qui investissent les rues de plusieurs villes de France quelques jours après le décès de Thomas le 18 novembre, en marge d’un bal de village à Crépol.

Une proximité langagière relevée par la gauche et le gouvernement, qui accusent le Rassemblement national de tenir des propos incendiaires.

« Vous voulez opposer la France rurale et tranquille, catholique et blanche à la France des cités, des Mohammed, des Mouloud et des Rachid. » La diatribe, adressée aux députés RN, est signée Éric Dupond-Moretti. « Faites le ménage. Chassez de vos rangs les »gudards », les identitaires, les nazillons, les racistes, les antisémites qui sont planqués dans vos officines économiques », a-t-il déclaré ce mardi dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.

Suspension de séance. Outrés, les députés RN quittent les bancs. Marine Le Pen, hors de ses gonds, assure qu’elle va porter plainte contre le ministre de la Justice (à ce jour, aucune plainte n’a encore été déposée). Quelques minutes avant, elle le croise justement. Et lui lâche : « Vous êtes un voyou, vous vous comportez comme un voyou ». Le RN, lié à l’ultradroite ? Voilà des années que ce procès en compagnonnage embarrasse les rangs du parti à la flamme et contrarie les aspirations présidentielles de sa candidate.

« Je les connais, tous ces mecs, c’est moi qui les ai virés du mouvement »
Ce mardi, en réunion de groupe avec ses troupes, Marine Le Pen l’a répété : « Nous sommes des responsables politiques, et il est hors de question d’accepter, ou de justifier ce qu’ont fait ces abrutis, probablement manipulés, à Romans-Sur-Isère. » Et d’ajouter : « Je les connais, tous ces mecs, c’est moi qui les ai virés du mouvement. » Deux jours plus tôt, invité sur le plateau de France 2, Jordan Bardella s’était empressé, déjà, de prendre ses distances avec les descentes de l’ultradroite.

« On ne répond pas à la violence par la violence […], par des expéditions punitives, par une justice privée ou par des slogans vengeurs », avait-il déclaré.

Voilà des années que Marine Le Pen s’efforce de prendre ses distances avec ces groupuscules, et de se délester de cet encombrant héritage, vestige du temps où le GUD (une organisation d’extrême droite violente) défilait de concert avec le Front national de son père. En décembre 2022, après des raids violents à l’encontre de personnes étrangères, la députée du Pas-de-Calais avait demandé la dissolution des « groupuscules extrémistes, quel que soit leur profil » dans un courrier envoyé à Élisabeth Borne.

En mai dernier, après une manifestation néofasciste organisée dans les rues de Paris, elle a pris ses distances avec l’un des participants, Axel Lousteau, ancien du GUD et ami de longue date de Marine Le Pen, du temps où elle fréquentait avec lui les boîtes de nuit parisienne.

Le message de la patronne est clair : le RN d’aujourd’hui n’est plus le FN d’hier, un parti de gouvernement ne peut pas se permettre une telle promiscuité avec ces groupuscules.

La plupart des nouveaux visages frontistes sont d’ailleurs étrangers à cet écosystème. Sébastien Chenu ou Jean-Philippe Tanguy ne mangent pas de ce pain-là, et ne sont pas avares de condamnations concernant ces militants radicalisés -même si l’un comme l’autre n’ont pas rechigné lorsqu’il a fallu travailler avec certains d’entre eux. D’autant que, grâce au surgissement d’Eric Zemmour dans le paysage politique pendant la campagne présidentielle, le RN avait pu se délester de certains compagnonnages encombrants.

Exit les Damien Rieu et anciens membres de Génération identitaire (groupuscule dissous en 2021 pour provocation à la haine et à la discrimination) ; adieu les Philippe Vardon et autres proches de Marion Maréchal, tous partis grossir les rangs du polémiste identitaire. Et tandis que les radicaux désertaient, le RN, purgé de ses éléments encombrant, se permettaient même de railler « l’entourage nazi » gravitant autour d’Éric Zemmour.

La porosité entre jeunes et radicaux
Aujourd’hui, les cadres à qui l’on répète sans cesse qu’ils seraient « aux portes du pouvoir » n’ont qu’un seul mot d’ordre : bien se tenir. Aucun dérapage ne sera toléré jusqu’en 2027. « Il y a un côté responsabilité, avance un député frontiste. Dans le mouvement, tout le monde a envie de gagner, donc personne ne veut faire n’importe quoi ou voir ses collaborateurs ou ses responsables RNJ (le mouvement jeune du parti, NDLR) faire n’importe quoi. » Car tous en ont conscience : c’est du côté des jeunes que se trouvent les principaux risques de porosité avec cet écosystème peu recommandable.

Depuis que Jordan Bardella a noué avec ses fondateurs des liens particuliers, le syndicat étudiant la Cocarde, qui revendique l’héritage identitaire et ethno différentialiste de la Nouvelle Droite, est devenu une pépinière pour le parti frontiste. Pierre-Romain Thionnet, président du RNJ et proche de Jordan Bardella, en était le secrétaire général. Une quinzaine de ses militants ou anciens militants sont désormais collaborateurs d’élus, parlementaires ou eurodéputés, et sont régulièrement reçus à l’Assemblée, comme ce 24 novembre dernier auprès du député RN de l’Oise Alexandre Sabatou pour parler logement.

Or si la vitrine parisienne de la Cocarde étudiante est relativement lisse, le syndicat est aussi associé à plusieurs dérives. A Besançon, fin novembre 2022, ce sont deux de ses membres qui ont repeint en blanc une statue de bronze de Victor Hugo, « pour lui donner une belle couleur blanche, bien française, bien bisontine, bien XIXe siècle ». À la justice, les deux mis en cause ont assuré qu’ils avaient été poussés par un cadre national de la Cocarde.

Un invité du RNJ proche de l’Action française
L’an dernier, c’est une collaboratrice d’élue, qui s’était retrouvée dans le viseur de Libération pour avoir posé devant des drapeaux à croix celtiques et fréquenté les milieux nationalistes et antisémites, tout en occupant le poste d’attachée parlementaire du député du Vaucluse Joris Hébrard. En mai, toujours selon Libération, un membre du GUD et un ancien membre de Génération identitaire avaient été repérés dans les locaux du Rassemblement national à une conférence donnée sur la Hongrie.

Encore aujourd’hui, les conférences organisées par le mouvement jeune font la part belle à cet écosystème qui gravite entre milieux intellectuels de la droite dure et sympathisants de l’ultradroite. Le 19 octobre, c’est Rodolphe Cart, jeune auteur, star en devenir du milieu, qui était invité au 114 rue Michel Ange dans les locaux du RN… Avant d’être reçu le 1er novembre à la Nouvelle Librairie, haut lieu de rencontre des héritiers de la Nouvelle droite, et le 3 novembre par l’Action française, une organisation royaliste maurrassienne.

Plus qu’une affiliation idéologique pure, ce sont des références communes et un écosystème que partagent ces jeunes radicaux et les jeunes frontistes.

A Paris, ils vivent dans un petit milieu où tous se connaissent et côtoient les mêmes lieux. De l’Institut de Formation Politique, l’école où les droites se rejoignent, aux bars du VIe arrondissement, comme les Caves Saint Germain ou le Chai Antoine, où il n’est pas rare de croiser un militant radical accoudé au comptoir avec un jeune RN ou Reconquête (le parti d’Eric Zemmour). Une réalité qui, en interne, agace les uns… ou indiffère les autres.

« Pour moi, la Cocarde, comme tous ces groupuscules identitaires, ne devraient pas être associés à notre mouvement », s’inquiète un cadre frontiste qui ne veut pas voir tous ses efforts de dédiabolisation réduits à néant.

D’autres se rassurent comme ils peuvent : « C’est vrai, les jeunes sont souvent excessifs, mais cela n’aura pas de débouché politique chez nous, qu’ils se le tiennent pour dit. » Gilles Pennelle, ancien membre du groupuscule identitaire néopaïen Terre et peuple, aujourd’hui secrétaire général du Rassemblement national, peut d’ailleurs en témoigner.

lexpress

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