Paris : ouverture du procès de six Algériens, accusés d’avoir drogué les « petits voleurs du Trocadéro »

Six Algériens sont jugés à partir d’aujourd’hui à Paris pour « traite d’êtres humains aggravée ». Ils forçaient des dizaines de mineurs marocains, dont le plus jeune avait sept ans, à consommer des psychotropes afin de détrousser des passants près de la Tour Eiffel.

Ils les rendaient accro aux psychotropes pour les forcer ensuite à détrousser des passants près de la Tour Eiffel. Ce jeudi 14 décembre, six Algériens sont jugés devant le tribunal correctionnel de Paris pour « traite d’êtres humains aggravée » sur des mineurs étrangers isolés, qu’ils forçaient donc à se droguer avant de commettre des délits. Les six prévenus, âgés de 23 à 39 ans, comparaîtront également pour trafic de stupéfiants et de psychotropes et recel de vols.

Un septième sera jugé pour trafic de psychotropes et recel de vol entre mars et mi-juin 2022, mais pas pour traite.

Plusieurs dizaines d’enfants seraient tombés dans leurs filets, dont 17 identifiés par les enquêteurs de la sous-direction chargée de la lutte contre l’immigration irrégulière (SDLII). Le plus jeune avait à peine sept ans au moment des faits, le plus âgé, 16 ans, selon l’ordonnance de renvoi. Douze mineurs se sont constitués partie civile au procès, par le biais d’un administrateur ad hoc, désigné par la justice pour défendre leurs intérêts. Le procès doit durer jusqu’au 20 décembre.

Le « parcours d’errance » de ces jeunes, débuté par leur traversée de la Méditerranée à partir du Maroc ou de l’Algérie, les a menés jusqu’au parvis du Trocadéro, l’un des lieux de la capitale les plus fréquentés par les touristes. Là, les six adultes sont accusés de leur avoir fourni des psychotropes, « gratuitement dans un premier temps », détaille la juge d’instruction.

« Ils m’ont dit : ‘Tiens, prends ça, ça va te faire du bien' », affirme un enfant marocain de 10 ans, cité dans l’ordonnance.

« J’ai pris un demi-comprimé de Rivotril et après j’ai continué, continué, continué ». Des doses qui le « poussent à voler » téléphones et bijoux « et même à être violent ». La combinaison des psychotropes Rivotril et Lyrica provoque « une dissociation totale du corps et de l’esprit des jeunes consommateurs », souligne la magistrate qui y voit une « opération de recrutement » des adultes pour créer « une forte dépendance » des enfants à leur égard afin « d’en tirer un bénéfice financier ».

Pour appréhender les responsables, les investigations des enquêteurs se sont fondées sur des surveillances physiques et des écoutes – les enquêteurs avaient placé des micros sur un banc où les suspects avaient leurs habitudes. Elles ont montré que le parvis du Trocadéro était « réparti » entre joueurs de bonneteau, vendeurs à la sauvette et voleurs mineurs. Ces derniers occupaient « les escaliers centraux », sous l’œil des majeurs « légèrement en retrait ».

Comprimés, Lyrica et ecsta
Parmi les victimes repérées par la police figure Ali, dix ans au moment des faits. « Quand je suis arrivé à la gare Montparnasse, tout ce que je connaissais c’était la tour Eiffel, alors j’ai demandé où était la tour Eiffel », leur a-t-il confié, relate Le Monde. Arrivé en France après avoir traversé la Méditerranée, le jeune garçon est tout de suite tombé entre les mains de petits délinquants qui se sont présentés comme des protecteurs.

« Ces hommes sont rassurants pour ces jeunes qui débarquent en Europe, sans repères : ils parlent arabe, ils proposent de les loger et de leur trouver un travail, ils les guident dans Paris. En réalité, ces adultes voient dans ces gamins un ‘large vivier de main-d’œuvre' », écrit le journal.

« À la fin, je prenais quatre ou cinq comprimés tous les jours, puis le Lyrica, et même de l’ecsta, témoigne une autre victime.

Je buvais aussi beaucoup d’alcool et je fumais du shit. Lorsque vous prenez ces médicaments vous êtes obligés de voler, ça vous pousse à voler et même à être violent ».

Interpellés le 13 juin 2022, les sept « exploiteurs » de ces jeunes ont reconnu les vols et le deal, mais ils nient avoir fait travailler des enfants et démentent encore plus vigoureusement leur avoir fourni des psychotropes. Un des adultes, confronté aux déclarations des mineurs, a menacé : « C’est entièrement faux. Je vais les monter en l’air quand je sors ».

Des enfants « à protéger »
« Ce procès est important, parce que c’est la première fois qu’on ne les arrête pas eux, en tant qu’auteurs, mais qu’on les considère comme victimes », a souligné auprès de l’AFP Kathleen Taieb, avocate d’un enfant et habituée des affaires de traite. Ce dernier, qui avait 14 ans au moment des faits, est toujours « en errance totale » et « va très mal », a-t-elle déploré.

Certes, « ces gamins ne sont pas des angelots », mais « on ne lutte pas efficacement contre les troubles à l’ordre public si on réprime les victimes. Il faut les protéger en leur permettant d’accéder à leurs droits, à des foyers de protection de l’enfance… », avait souligné Guillaume Lardanchet, directeur de cette association qui repère et accompagne les mineurs étrangers en danger.

Matthieu Juglar, avocat de l’un des prévenus qui reconnaît avoir vendu des psychotropes mais nie toute contrainte sur les mineurs, a estimé « ce dossier […] sans doute un peu démesuré ».

« On a voulu en faire le dossier d’Oliver Twist, mais ça n’est pas ça », a-t-il ajouté, en référence au roman de Charles Dickens dont le héros intègre une bande de jeunes pickpockets. « Mon client reconnaît totalement ce qui lui est reproché » et « souhaite que ça se termine », a pour sa part déclaré Frédéric Nasrinfar, avocat du prévenu poursuivi uniquement pour trafic et recel, le seul à comparaître libre sous contrôle judiciaire.

Les conséquences physiques et psychologiques de ces violences sur les mineurs sont pourtant très lourdes, et documentées.

D’après Le Monde, Othman, l’un des plus abîmés par son parcours, a été pris en charge dans des structures de pédopsychiatrie. « À peine âgé de 13 ou 14 ans, il souffre de traumatismes majeurs ». D’autres ont fui à l’étranger, en Italie, en Allemagne ou en Belgique. L’une des victimes, née en 2005 n’aura jamais l’occasion de porter sa voix devant la justice. Il est mort le 22 juillet 2022 à la suite d’une chute sur les voies du métro parisien.

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