Législatives en Iran : une élection fermée qui se joue entre conservateurs

En l’absence d’alternative, les conservateurs devraient renforcer leur emprise lors des législatives iraniennes de vendredi, puisque les candidats du camp réformateur ont été quasiment exclus du scrutin. Alors que plus de 61 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, une abstention record est attendue.

La campagne pour les législatives du 1er mars en Iran a suscité peu d’engouement. À quelques jours de l’échéance, de rares affiches de candidats étaient placardées dans les rues de Téhéran, et ce, alors que l’ombre d’une abstention record plane sur le scrutin.

« Longtemps le régime a cherché à obtenir une légitimité par les urnes, avec un taux de participation élevé.

 Cette fois, il y a eu quelques appels à la mobilisation, mais ça reste finalement très en marge. Un peu comme si le régime, finalement, avait acté l’idée que la légitimité par les urnes n’est plus vraiment nécessaire », analyse Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia, à Bruxelles.

L’un des sondages publiés ces dernières semaines – une étude réalisée par la télévision d’État – a montré que plus de la moitié des Iraniens restaient indifférents à ce scrutin. Le taux d’abstention pourrait atteindre son pire score depuis l’avènement de la République islamique il y a 45 ans, préviennent les experts.

En 2020, seuls 42,57 % des électeurs s’étaient déplacés dans les bureaux de vote, d’après les chiffres officiels.

Le scrutin est en outre le premier depuis le vaste mouvement de contestation ayant secoué le pays fin 2022 à la suite de la mort de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée pour un voile mal porté. 

Pour les 61 millions d’Iraniens appelés à choisir leurs 290 députés du Parlement iranien, et les 88 membres de l’Assemblée des experts, composée uniquement de religieux chargés de nommer le guide suprême, le choix se réduit comme peau de chagrin.

Des réformateurs rayés de la carte

Jusqu’aux législatives de 2020, année de l’invalidation de milliers de réformateurs, les candidats aux législatives étaient généralement issus de deux mouvements politiques, ceux des réformateurs et des conservateurs. Mais, ces nouvelles élections opposent désormais principalement conservateurs et ultraconservateurs.

Sur les 15 200 candidats approuvés pour les législatives, un record, par le Conseil des gardiens de la Constitution ne figurent que 20 à 30 candidats du camp réformiste. Un nombre insuffisant pour compléter des listes électorales, selon des responsables du courant réformateur.

« La principale liste qui se détache est celle d’Ali Motahari, un représentant du courant des conservateurs modérés.

Il se présente à Téhéran, où le paysage politique est particulier », précise Jonathan Piron. Cependant, la rancœur est telle que personne n’échappe à la critique, pas même les réformateurs et les modérés en qui les jeunes ne croient plus.

À quelques jours de l’élection, Ali Motahari, en campagne dans une université de Téhéran, a été violemment invectivé par un étudiant qui lui a reproché de n’être qu’un « pion du pouvoir », après avoir évoqué ses camarades torturés et éborgnés lors du soulèvement de 2022.

Sur la liste de Motahari figurent des candidats issus de divers courants politiques, notamment la réformatrice Afifeh Abedi, l’une des rares femmes à avoir été autorisée à concourir, et quatre autres candidates. Les femmes, qui représentent la moitié de l’électorat iranien ne comptent que pour 12 % des 15 200 candidatures aux législatives.

Du reste, les réformateurs sont divisés entre eux sur la marche à suivre. Une partie appelle au boycott.

Ainsi, la principale coalition suivant cette tendance, le Front des réformes, a annoncé son refus de participer à ces « élections dénuées de sens ». Mais une autre plateforme réformatrice présente, elle, des candidats dans plusieurs circonscriptions en province.

Adoptant une position d’équilibriste, l’ancien président réformateur Mohammad Khatami (1997-2005) a appelé, pour sa part, à participer au vote, tout en déclarant que l’Iran est « très éloigné d’élections libres et compétitives ».

Quant aux opposants en Iran et au sein de la diaspora, ils appellent à ne pas voter, présentant toute participation comme « un signe de compromis avec le système. »

Pour ou contre le dialogue avec l’Occident

En l’absence de vraie concurrence avec les réformateurs ou les modérés, le scrutin se réduit donc à un duel entre conservateurs et ultraconservateurs. Ces derniers se montrent plus hostiles au dialogue avec les pays occidentaux, en premier lieu les États-Unis, tandis que les premiers prônent un certain pragmatisme, notamment sur le dossier sensible du nucléaire iranien.

Les véritables tensions entre ces deux courants, et au sein même du groupe des « ultra », pourraient émerger au moment de la mort du guide suprême, Ali Khamenei, nommé à vie mais âgé de 84 ans. En coulisses, s’affrontent déjà plusieurs candidats à sa succession et leurs gardes rapprochées. 

Le guide a justement appelé à voter pour l’unité de la nation.

« Tout le monde doit participer aux élections », a-t-il déclaré, en exhortant les « personnalités influentes » à « encourager » la population à voter. « Plus les élections seront enthousiastes, plus la puissance nationale et la sécurité nationale seront assurées », a-t-il affirmé.

« Le jeu est complètement fermé »

Pour Jonathan Piron, la République islamique a basculé « vers quelque chose de l’ordre du parti unique », dénonce-t-il, qualifiant ce scrutin de « fiction ». « Les élections iraniennes ont longtemps été considérées comme des sélections plutôt que de véritables élections. Mais il y avait quand même parfois une forme de concurrence existant entre différentes tendances.

Désormais, le jeu est complètement fermé ».

Le chercheur y voit « une manifestation de force et une preuve de faiblesse » du noyau dur du régime, menacé par la fracture croissante avec sa population. Des citoyens très jeunes, de moins de 35 ans en majorité, qui n’ont connu ni la révolution islamique, ni la guerre Iran-Irak. « Cette jeunesse est complètement indifférente aux grands fondamentaux rhétoriques du régime », souligne Jonathan Piron.

Face à elle, les dirigeants du pays ont allègrement dépassé les 70, voir les 80 ans, formant « une gérontocratie sclérosée ».

Le contraste entre ces deux mondes a sauté aux yeux lors des soulèvements qui ont suivi la mort de Mahsa Amini en 2022, avec des slogans tels que « Femme, vie, liberté », et « Mort au dictateur ». Après le décès de la jeune femme arrêtée par la police des mœurs, de très nombreux jeunes ont défié le pouvoir dans les rues pour réclamer justice et égalité pour les femmes, mais aussi la fin de la République islamique.

Resté sourd, le pouvoir a accentué la répression.

Au moins 500 manifestants ont été tués et des milliers ont été arrêtés. Au moins huit protestataires ont été exécutés à ce jour pour leur rôle dans les rassemblements, à l’issue de procès qualifiés d’inéquitables par les organisations de défense des droits de l’homme.

france24

You may like