« Beaucoup de gens vont se retrouver à la rue » : à Vitry-sur-Seine, le plus grand squat d’Île-de-France évacué

La préfecture a proposé des orientations en régions mais les associations redoutent que cette opération ne précipite leur retour à la rue.

« Un jour viendra où l’on devra quitter les lieux ».

La dernière fois qu’InfoMigrants s’était rendu au squat de Vitry-sur-Seine, où vivaient 450 migrants depuis juin 2021, beaucoup connaissaient déjà le sort qui les attendait. Un mois plus tard, mercredi 17 avril, au petit matin, la préfecture du Val-de-Marne a effectivement procédé à l’évacuation du plus grand squat d’Île-de-France.

Vers 7h du matin, près de 250 agents et policiers ont investi cette ancienne usine désaffectée pour procéder à une mise à l’abri, sous l’œil de quelques députés La France insoumise comme Mathilde Panot.

Près de la moitié des occupants – principalement des Tchadiens, Soudanais, Érythréens, Éthiopiens et Ivoiriens – avaient déjà quitté le site depuis plusieurs jours, conscients de l’imminence de l’opération : « Une grande partie d’entre nous est partie avant l’arrivée de la police, car nous vivons à Paris depuis plusieurs années et nous sommes habitués à la vie ici.

En plus, certains d’entre nous travaillent de manière informelle ici », a déclaré Ahmed*, un migrant tchadien de 28 ans, à InfoMigrants.

Près de 250 agents de la préfecture et policiers ont investi le squat de Vitry-sur-Seine, mercredi 17 avril 2024. Crédits : Médecins du monde

Après le squat d’Unibéton, à l’Île-Saint-Denis, il y a tout juste un an, et la maison de retraite désaffectée de Thiais (Val-de-Marne) en juillet dernier, l’évacuation de l’usine de Vitry-sur-Seine est la troisième grande opération de délogement organisée en Île-de-France depuis début 2023.

« La préfecture assure que le propriétaire veut récupérer son bâtiment depuis le mois d’octobre parce qu’il y a un projet de tramway qui passe sous le site.

Mais on n’a vu aucun permis de construire ou de démolir déposé en mairie, donc notre crainte, c’est qu’il ne se passe rien pendant 5 mois et que le bâtiment reste vide », déplore Paul Alauzy, coordinateur à Médecins du monde et membre du collectif Le Revers de la médaille, qui regroupe des associations venant en aide aux personnes précaires vivant dans la rue.

Les évacuations vers les SAS régionaux critiquées

Selon les témoignages recueillis, l’évacuation du squat s’est déroulée dans le calme, sans violences : « C’est l’une des évacuations qui s’est le mieux passée, car il y a eu un gros travail avec la préfecture réalisé en amont, mais ça reste de la violence symbolique. Beaucoup de gens vont se retrouver à la rue dans quelques semaines », redoute Paul Alauzy.

La préfecture a affrété des bus pour offrir des mises à l’abri dans des SAS régionaux à Bordeaux et Orléans : « Un bus est parti pour le SAS Bordeaux mais il restait des places, car certaines personnes ont refusé d’y monter. Un autre est parti pour Orléans avec environ 50 personnes à l’intérieur », rapporte Paul Alauzy.

Quelques personnes vulnérables, comme une femme enceinte, ont par ailleurs été orientés vers le Centre d’hébergement d’urgence (CHU) de Bonneuil-sur-Marne, en région parisienne.

Mis en place en 2023, les SAS régionaux doivent permettre de désengorger le dispositif d’hébergement d’urgence en Île-de-France qui est saturé.

Mais pour les associations, ce dispositif sert surtout à disperser les personnes à la rue en vue des JO de Paris : « On constate que la moitié des gens finissent par revenir, puisqu’on ne leur propose pas d’hébergement adapté par la suite. À Vitry, beaucoup d’habitants du squat avaient déjà été orientés vers des SAS régionaux après l’évacuation du squat d’Unibéton mais sont revenus en île-de-France, soit parce qu’il n’y avait pas de travail où ils étaient, soit parce qu’ils avaient été remis à la rue », explique Jhila Prentis, membre de l’association United Migrants.

« Certains réfléchissent à aller sous un pont, ils ne savent pas encore lequel »

À Vitry, beaucoup de migrants redoutaient donc cette opération : « Les gens ont peur, s’inquiète Ahmed, le Tchadien. Dans ce bâtiment, je vivais avec des amis. On était habitué au système de vie. Mais maintenant, l’avenir est inconnu, d’autant plus que nous savons ce qui est arrivé à nos camarades qui ont été évacués dans le passé, ils sont retournés dans la rue. »

Une situation d’autant plus incompréhensible que la majorité des habitants du squat travaille, parfois même en CDI.

Mais ils peinent à trouver un logement pérenne : « La préfecture propose uniquement des places d’hébergement en Île-de-France à ceux qui ont des CDI ou CDD depuis plus de 9 mois et localisés à Paris. Sauf que beaucoup ont des petits contrats de travail qui s’enchainent, des missions d’intérim ou de la formation.

Ils se battent pour s’intégrer mais on ne leur donne pas le coup de pouce supplémentaire pour s’en sortir », analyse Paul Alauzy de Médecins du monde.

De son côté, Moulay*, un jeune mauritanien qui vivait dans le même squat, est parti mardi.

« Depuis que j’ai appris la décision d’évacuation, j’ai commencé à chercher un logement à louer et, miraculeusement, j’ai pu louer une chambre pour 390 euros par mois », explique-t-il. Heureusement pour moi, j’ai commencé à travailler dans le domaine de la construction, ce qui me permet de payer mon loyer ».

Lui est assuré de dormir au chaud pour les prochaines semaines. Mais pour beaucoup, c’est un nouvel épisode d’errance qui va commencer. « Certains réfléchissent à aller sous un pont, ils ne savent pas encore lequel », commente Paul Alauzy.

Selon United Migrants, près de 7 000 personnes sont actuellement à la rue en Île-de-France, dont 3 500 à Paris, un chiffre en hausse de 16% par rapport à 2023.

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