Les algues marines, une piste prometteuse pour la préservation de la planète

Nourrir les humains et les animaux, remplacer le plastique, servir de médicament tout en limitant le réchauffement climatique… Les algues marines offriraient un champ d’innovation immense pour aider la planète. Décryptage.

Du 9 au 11 février, la ville de Brest, en Bretagne, accueillera le premier sommet international consacré à la préservation des océans, appelé One Ocean Summit. Une vingtaine de chefs d’État s’y réuniront aux côtés d’ONG de défense de l’environnement et de scientifiques. Au programme : faire un état des lieux sur la situation des espaces maritimes, chercher des solutions concrètes pour les protéger mais aussi réfléchir à comment mieux les exploiter.

Philippe Potin, biologiste marin et directeur de recherche au CNRS, et Vincent Doumeizel, conseiller océan au Pacte mondial des Nations unies, y seront pour présenter une solution. « Il faut miser sur les algues marines ! », s’exclament-ils de concert, contactés par France 24. « Souvent, quand on parle d’algues, on a cette image négative d’amas verts ou marrons échoués sur les plages en Bretagne ou dans les Antilles. C’est très dommage », déplore Philippe Potin. « Lorsqu’on les retrouve sur les plages, c’est parce qu’elles ont été arrachées à leur socle à cause de la pollution ou des activités industrielles. Elles ne sont pas le problème, elles en sont une conséquence. »

« La réalité, c’est que ces végétaux jouent un rôle primordial pour notre planète », insiste le chercheur. Les algues sont aux espaces maritimes ce que les forêts sont aux surfaces terrestres. « Elles aussi sont des poumons de la planète. Grâce à leur photosynthèse, elles absorbent le CO2 et dégagent de l’oxygène », explique le scientifique, spécialisé sur la question au sein de la station biologique de Roscoff, en Bretagne. « À elles seules, elles sont responsables de la moitié du renouvellement en oxygène sur Terre. Elles rendent un grand service au climat. »

« Elles sont aussi indispensables à la vie dans l’océan car elles permettent de créer des habitats particuliers pour des milliers d’espèces de poissons ou de coquillages », insiste le scientifique. « Par effet ricochet, c’est en partie grâce à elles que l’on peut avoir une grande diversité de pêche sur les côtes. »

Au total, quelque 10 000 espèces d’algues visibles à l’œil nu sont dispersées sur l’ensemble de la planète – des laminaires sur les littoraux bretons aux kelps de Tasmanie, en passant par les wakamés au Japon.

« La ressource la moins bien exploitée au monde »
Outre leur rôle pour le climat et la biodiversité, ces végétaux pourraient être utilisés dans un grand nombre de secteurs allant de l’alimentaire à l’industrie, en passant par le médical. « Aujourd’hui, c’est l’une des ressources les moins bien exploitées de la planète », insiste Vincent Doumeizel, auteur de l’ouvrage « La Révolution des algues » (éd. des Équateurs).

« Notre planète est composée à 70 % d’eau et pourtant nos mers et océans ne servent qu’à 3 % de notre alimentation. C’est absurde », poursuit-il. C’est d’ailleurs ce constat qui a poussé cet ancien employé du secteur agroalimentaire à s’intéresser aux végétaux aquatiques. « Nous savons que l’un des grands défis de ce siècle, c’est que nous avons atteint nos limites terrestres en ce qui concerne nos systèmes alimentaires. Nous manquons de terres, notre agriculture intensive est particulièrement nocive pour la planète… Il est clairement temps de réfléchir à de nouveaux usages. »

Or, les algues semblent avoir tout d’un ingrédient magique. Déjà consommées quotidiennement en Asie, elles sont plébiscitées par les diététiciens : bourrées de protéines, de vitamines et de fibres, elles ne concentrent que peu de lipides. Selon une étude menée par l’université de Wageningen, aux Pays-Bas, dédier 2 % des océans à la culture, avec les écosystèmes qui y sont liés – leurs poissons et coquillages –, pourrait ainsi permettre de couvrir les besoins en protéines de toute la planète.

Sans compter qu’il n’y a pas que les humains qu’elles peuvent nourrir. « On peut s’en servir comme alimentation pour les animaux, notamment les bovins. Cela permettrait d’améliorer leur système immunitaire », assure Vincent Doumeizel. Dans l’agriculture, la France compte déjà par ailleurs plusieurs villages, majoritairement en Bretagne, les utilisant comme engrais pour leurs plantations.

Dans le domaine médical aussi, les algues commencent à faire leur apparition, notamment dans des crèmes antifongiques ou anti-inflammatoires. La fucale est ainsi connue pour soulager les brûlures d’estomac. Autre exemple : récemment, un brevet a été déposé pour une crème et un gel à base de Skeletonema marinoi pour lutter contre l’acné.

En ce qui concerne les usages industriels, l’Europe compte une dizaine d’entreprises qui se sont lancées dans la production d’emballages biodégradables à partir d’algues, pour remplacer le plastique. « D’autres réfléchissent à les utiliser pour confectionner des vêtements. Aux Pays-Bas, une start-up s’est quant à elle penchée sur des protections hygiéniques provenant d’algues », liste le spécialiste.

« C’est finalement dans le domaine de l’énergie qu’elles se révèlent difficiles à exploiter », nuance Philippe Potin. « On avait envisagé pendant un temps d’en faire un agrocarburant mais les quantités nécessaires sont bien trop importantes. »

L’Asie pionnière, le reste du monde à la traîne
« En réalité, tout cela n’a rien de nouveau. Les algues sont consommées depuis des centaines d’années. Les hommes préhistoriques en mangeaient, ainsi que des populations autochtones partout dans le monde », explique Vincent Doumeizel. « La pratique a simplement disparu quasiment partout à l’époque gréco-romaine, sauf en Asie. »

Aujourd’hui, l’Asie, pionnière dans l’algoculture, c’est-à-dire la culture d’algues dans des bassins artificiels, concentre 99 % de la production mondiale. En 2015, la Chine caracolait loin en tête, avec 13 millions de tonnes collectées, suivie par l’Indonésie avec 9 millions de tonnes.

Des champs d’algoculture au large de la province de Fujian, en Chine, en décembre 2019.
Des champs d’algoculture au large de la province de Fujian, en Chine, en décembre 2019. © Hector Retamal, AFP
En Europe, ce sont la France et la Norvège qui dominent une production encore très limitée. Contrairement à l’Asie, l’algoculture y est encore balbutiante. Selon le rapport pour une économie bleue 2021 de la Commission européenne, seulement 32  % des algues en sont issues en Europe. Les 68 % restants viennent d’une récolte dite sauvage, c’est-à-dire de l’arrachage de ces végétaux directement dans leur milieu naturel. « On est vraiment au stade du chasseur-cueilleur ! », ironise Vincent Doumeizel.

Le marché mondial est cependant en pleine expansion. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production a triplé entre 2000 et 2018. C’est « le secteur de production alimentaire qui progresse le plus rapidement au niveau mondial », note l’institution.

Trouver un équilibre entre exploitation et protection

Aujourd’hui, Philippe Potin et Vincent Doumeizel appellent à accélérer l’algoculture. « Outre le potentiel économique, c’est d’autant plus crucial que beaucoup d’algues disparaissent aujourd’hui massivement à cause du réchauffement des océans lié au dérèglement climatique », explique Philippe Potin, citant l’exemple du large de la Californie où une forêt d’algues a régressé de 80 % ces dernières années. « Développer l’algoculture permettra de restaurer des écosystèmes. »

« Mais évidemment, cela doit se faire de façon très raisonnée et prudente », poursuit-il. « Il n’est pas question d’abîmer encore plus nos océans en faisant n’importe quoi pour faire pousser des algues à tout prix. » En Asie, l’algoculture montre en effet certaines limites. Comme l’agriculture intensive classique, elle est régulièrement pointée du doigt car elle prend souvent le pas sur d’autres activités liées à la mer. L’usage d’engrais pour accélérer la production est par ailleurs fréquent. « Et il s’agit souvent de monocultures qui écrasent, de fait, d’autres espèces », déplore Philippe Potin.

En Europe, il existe par ailleurs une difficulté majeure : « Sur les milliers d’espèces d’algues existantes, nous ne sommes capables aujourd’hui de n’en cultiver qu’une dizaine, et surtout des espèces asiatiques », explique le biologiste. « Il faut donc qu’on accentue les travaux de recherche sur nos espèces européennes. On veut éviter d’importer des algues exotiques qui perturberaient les écosystèmes. »

Philippe Potin et Vincent Doumeizel ont ainsi pris la tête de la Safe Seaweed Coalition. Cette nouvelle organisation est gérée par les Nations unies, le CNRS et la Fondation Lloyd’s Register. Leur ambition : rassembler les industriels, les scientifiques et les producteurs pour structurer cette exploitation et mettre en place une législation à l’échelle internationale.

Au One Ocean Summit, Vincent Doumeizel doit par ailleurs s’entretenir avec Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique. « La France a un potentiel énorme. Nous avons en Bretagne une zone algale unique au monde. Il faut que le gouvernement en prenne conscience. »

1 Commentaire
  1. Study in Africa 6 jours ago

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