Guerre en Ukraine : « Alger n’a pas les moyens de proposer une alternative au gaz russe »

L’Algérie peut-elle jouer un rôle politique et économique dans le contexte du choc pétrolier et gazier provoqué par l’offensive russe en Ukraine ? Le point de vue d’un spécialiste des relations entre Moscou et le monde arabe.

Le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra (à dr.) avec son homologue russe Sergueï Lavrov, à Alger, le 10 mai 2022.
Adlene Mohammedi, directeur scientifique du centre de recherche stratégique AESMA et auteur d’une thèse en géopolitique sur la politique arabe de la Russie (Paris 1), décrypte les relations entre Alger et Moscou.

Jeune Afrique : L’Algérie et la Russie sont des alliés et des partenaires de longue date. Où en sont aujourd’hui leurs relations ?

Adlene Mohammedi : Je n’irai pas jusqu’à dire que l’Algérie et la Russie sont des alliés. Les deux États revendiquent des politiques étrangères plutôt flexibles. Dans la doctrine officielle russe, c’est explicite : il n’est pas question de s’enfermer dans les logiques de blocs. On parlera donc, en effet, de partenariat. D’ailleurs, au moment du Hirak, Moscou ne s’est pas distingué des capitales européennes par son soutien au pouvoir algérien.

Inversement, la discrétion dont a fait preuve Alger face à l’agression russe en Ukraine ne se distingue pas de celle d’autres pays arabes ou africains, pas forcément connus pour être « pro-russes », comme le Maroc ou le Sénégal.

Le partenariat Alger-Moscou reste donc essentiellement axé sur le commerce des armes…

Effectivement, les relations entre les deux pays concernent prioritairement l’armement. Sur la période 2015-2019, l’Algérie était le troisième client de la Russie en matière d’achats d’armes, derrière l’Inde et la Chine. L’Algérie représente environ la moitié des ventes d’armes russes sur le continent africain.

Dans les autres secteurs, deux points méritent d’être soulignés : les relations commerciales sont limitées et l’Algérie exporte peu en direction de la Russie (moins que les voisins tunisien et marocain). Depuis quelques années, l’Algérie – comme d’autres pays – se montre séduite par le blé de la mer Noire, censé se substituer au blé français, mais l’importation de ce blé est aujourd’hui compromise par la guerre.

Comment analysez-vous l’invitation d’Abdelmadjid Tebboune à Moscou par Vladimir Poutine ?

La Russie veut consolider ses relations diplomatiques avec les pays non-occidentaux. Quand les relations entre la Russie et les pays de l’Alliance atlantique sont fragilisées, on constate une offensive diplomatique en direction des pays non-occidentaux, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, par exemple.

Le tout premier mandat de Vladimir Poutine (2000-2004) a été très « occidental » et il aura fallu attendre le deuxième mandat, en particulier l’année 2007, pour voir Vladimir Poutine multiplier les visites dans le monde arabe.

Or cela coïncide avec les tensions russo-américaines provoquées par la volonté de Washington d’installer un bouclier antimissile en Pologne. Aujourd’hui, les tensions sont plus grandes, mais l’analogie entre les deux situations est tentante : la peur d’être marginalisée en Europe pousse la Russie à faire preuve d’un certain volontarisme diplomatique dans d’autres régions du monde.

La consolidation des relations diplomatiques et les visites officielles – qui, dans le cas algérien, confèrent une légitimité extérieure destinée à compenser une contestation intérieure – sont une manière de remercier les pays qui ne tournent pas le dos à la Russie en dépit de son action en Ukraine.

L’Algérie peut-elle jouer un rôle dans la guerre du gaz qui se déroule actuellement en Europe sans pour autant s’aliéner son partenaire russe ?

Le principal obstacle auquel est confrontée l’Algérie n’est pas tant la peur de s’aliéner la Russie – après tout, la flexibilité évoquée plus tôt contredit l’idée d’un alignement systématique – que ses propres capacités. Il n’existe pas d’axe Alger-Moscou.

Alger entretient de bonnes relations avec Paris et Washington. Mais face à une production limitée et à une forte demande intérieure, l’Algérie n’a pas forcément les moyens de se projeter comme une alternative à la Russie en matière d’exportations de gaz. Cette difficulté était déjà connue avant la guerre en Ukraine.

Depuis quelques années, l’Algérie tente d’attirer les investissements extérieurs, notamment pour explorer de nouvelles réserves. Cela passe par un cadre légal plus favorable aux entreprises étrangères (2019) et par un discours politique invitant explicitement les entreprises américaines à investir dans le secteur des hydrocarbures en Algérie. En avril dernier, le ministre algérien de l’Énergie l’a clairement dit dans le cadre d’une rencontre avec l’ambassadrice américaine à Alger.

jeuneafrique

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