Projection – Réaction au film «Tirailleurs» : Fata Ngom, la voix d’une jeunesse en colère

Pour sa deuxième projection à l’Institut français de Saint-Louis, Tirailleurs est présenté à un jeune public d’élèves et d’étudiants. L’ambiance est moins guindée que lors de la première projection de la veille. Les jeunes découvrent la vie de leurs grands-parents avec émotion.

Et ces émotions explosent parfois violemment. Fata Ngom, étudiante en Métiers des arts et de la culture à l’Université Gaston Berger, n’a pu contenir ses émotions à la fin de la projection. Dans un grand cri de colère, elle interpelle le réalisateur : «Je suis une autre voix. Celle de la petite fille de Rosa Park et de ces tirailleurs sénégalais qui sont morts à Thiaroye et de tous ces autres qui sont morts.» Avec cette introduction, son propos attire de suite l’attention.

Et la jeune étudiante de déverser ses émotions et sa colère dans cette salle tétanisée. «Mais qu’est-ce qu’ils ont gagné à faire ça ! Si on leur avait dit que leurs petit-fils n’allaient pas être traités comme des citoyens français, mais comme des singes, stigmatisés, discriminés et victimes de racisme !» L’interpellation retentit comme un obus dans la salle. Le public se reconcentre. Une vérité vient d’émerger et les oreilles sont suspendues à la suite de cette intervention. «J’aurais bien aimé avoir le pouvoir de voyager dans le temps et de leur dire : «Non ! Ne vous battez pas pour eux. Et s’ils vous forcent, tirez-vous une balle dans le crane !

Mourrez parce que plus tard, ils traiteront vos petits-fils de singes».» De par son histoire familiale, Fata Ngom s’est retrouvée en ce lieu pour faire parler son cœur. «Ce film m’a touchée. J’ai vécu l’histoire. Ma mère est fille de tirailleur. Mais mon grand-père est mort là-bas, et elle ne l’a pas connu», dit-elle. Cette colère violente d’une descendante de tirailleur qui ne comprend pas que son aïeul ait fait le sacrifice suprême pour la libération du Peuple français, plonge la salle dans le silence avant qu’un tonnerre d’applaudissements ne vienne enrober de bienveillance la souffrance manifeste de la jeune fille.

Muet face à cette souffrance, un seul mot sortira de la bouche de Mathieu Vadepied : «merci» et la promesse de se reparler. Mais une fois l’émotion apaisée, des questionnements émergent. «Comment faire avec la colère que ressentent les Africains devant ce traitement ?», s’interroge le réalisateur français.

Projections pédagogiques
Face à de jeunes élèves des écoles de Saint-Louis et de l’Université Gaston Berger, le ton est plus que péda­gogique. Le vocabulaire du cinéma est expliqué par le modérateur du jour, Baba Diop. Journaliste et formateur, il démarre par une question : «Le soldat inconnu est-il Bakary ?» «Le soldat inconnu est le personnage principal du film», réplique Mathieu Vade­pied, le réalisateur. Quelques semaines après la sortie en salle du film et alors que le cap du million d’entrées est comptabilisé, le réalisateur est revenu vers le lieu d’où tout est parti.

Au village où le tournage s’est fait dans le département de Podor. Mais d’abord à l’Institut français de Saint-Louis. Dans la cinémathèque remplie d’un jeune public, Mathieu Vadepied a livré une masterclass sous forme d’échange et de discussion. L’hypothèse d’un soldat inconnu tirailleur est un postulat de base qui a donné toute son originalité au film qui se place d’emblée du point de vue de ces milliers de soldats noirs, amenés d’Afrique, souvent de force, pour combattre les Allemands et libérer la France. Pour l’enseignant à l’Ugb Dr Gora Seck, ce film participe à un changement dans le discours.

«Avec une simplicité ou une sobriété heureuse dans la mise en scène qui réussit à nous rappeler, en partie, 1917 et Il faut sauver le soldat Ryan, ce film, tout autant que Capitaine des ténèbres, nous confirme que l’Hexagone prend de plus en plus conscience des plaies profondes ouvertes et qu’il faut impérativement panser. Tirailleurs a le mérite de nous rappeler l’impératif de nous souvenir qu’il y a une nécessité absolue et fréquente de jeter notre propre regard sur notre passé. Réhabiliter cette mémoire, encore sous tension, en passant par un moyen aussi efficace que la sève nourricière et réparatrice de la créativité, est une attente à combler.»

Pour Mathieu Vadepied également, «c’est important qu’on connaisse cette histoire». Au cœur du film, la relation entre un père et son fils qui va mener le premier à s’engager volontairement pour ne pas abandonner son fils à la merci de ces étrangers. «C’est pour ça que cette histoire est universelle. Le fils veut échapper à l’autorité de son père pour se construire et le père ne veut pas laisser son fils faire ce qu’il veut», explique Mathieu Vadepied. Il ajoute que ces recrutements, violents et brutaux, au-delà de plonger ces soldats dans les affres de la guerre, ont aussi bouleversé des équilibres.

«Cette mémoire est plurielle. Aussi bien du côté des familles françaises qu’africaines. Et pour moi, il faut en faire une mémoire commune. Ce film représente une tentative de faire sentir l’expérience qu’ont pu vivre ces soldats. Et cette histoire doit être écoutée ici et en France», dit-il.

Lequotidien

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