Jacky Ido, acteur franco-burkinabè, la plume dans la peau

Jacky Ido est un « homme de passions » : réalisateur, comédien, poète, slameur, acteur… Amoureux de la linguistique, ce Franco-Burkinabè de 45 ans a établi sa carrière dans le cinéma à l’international. Apparu dans les films des plus grands, Jacky Ido est pourtant resté enraciné dans la banlieue de son enfance, tout en demeurant dévoué à son ultime passion : l’écriture.

Lorsqu’il arrive au café 104, un de ses QG dans sa ville de Saint-Ouen, Jacky Ido affiche un grand sourire, le regard pétillant. Le comédien de 45 ans déborde d’énergie alors qu’il y a moins de deux jours, il jouait la dernière de la pièce de Racine, Bérénice, à la Scala (Paris 10e), après plus de sept mois de représentations et de travail acharné. « Je vais tomber malade quelques jours, maintenant », lance-t-il avec un sourire blagueur.

Il faut dire que Jacky ne s’arrête jamais. Il bouillonne d’idées, d’envies, prépare mille projets à la fois. L’acteur franco-burkinabè a toujours un rôle à composer. Un texte à rédiger. Une scène de slam à animer. Avec en tête ce mantra que lui prêchait son père : « Quand tu veux faire quelque chose, tu le fais jusqu’au bout ou pas du tout. »

Grandir entre Ouagadougou et Stains

Attablé à ce café d’irréductibles audoniens, où il a organisé nombre de soirées slam, Jacky est ici comme chez lui. Il pointe fièrement du doigt l’expression inscrite sur sa chemise bleue électrique, au niveau du cœur : « Brooklynafaso ». « C’est mon petit pays à moi », ironise-t-il. Un beau résumé de son identité. « Ce terme incarne l’hybridation de mes origines. C’est le fait d’avoir mon ADN burkinabè, modifié par mon ADN Stanoise et les influences américaines, japonaises, allemandes, qui font de moi qui je suis aujourd’hui », indique-t-il.

Car l’histoire de Jacky est un récit d’appartenances multiples. À la fois un pied au Burkina Faso, où il passe plusieurs années de son enfance, puis un pied à Stains en Seine-Saint-Denis, avec sa mère et son petit frère. Né dans ce qui était encore la Haute-Volta en 1977, Jacky passe six ans en France, puis revient au Burkina Faso en 1983. Au même moment, Thomas Sankara mène son coup d’État. « On a vécu le changement de nom du pays, de régime, la révolution… C’était un Burkina dans une telle ébullition, avec des idées novatrices de toute part », se remémore-t-il.

Jacky passe son primaire dans ce maelstrom et baigne dans une intense culture audiovisuelle. « À l’époque, on se réunissait tous autour d’un match de foot ou d’un film. Même au cinéma, il y avait énormément d’engouement dans le public. Ça me fascinait. » Jacky se passionne très tôt pour l’écriture. Avec ses copains, le comédien parle de films, forge sa manière de raconter les histoires, réinvente des scénarios. « Sans le savoir, c’était un super entraînement pour devenir réalisateur ! », s’exclame-t-il.

De retour à Stains en 1988, Jacky continue à nourrir son amour de la littérature, puis du cinéma. Il engloutit des heures de pellicules et enregistre avec fierté des centaines de films pour son père. « La culture de quartier, c’est une culture de joute verbale, fascinée par les films de gangsters. En général, le cinéma habite beaucoup l’imaginaire des gens de cité », assure-t-il. Petit à petit, Stains devient « son village ».

Les mots chevillés au corps et au cœur 

À Stains, Jacky tente de combler sa soif d’apprendre. Son besoin quasi-boulimique de découvrir de nouvelles choses. De braver son écrasante timidité. « La prise de parole m’était intolérable », avoue-t-il. Un gamin discret, introverti. Une image presque impossible à concevoir en voyant aujourd’hui cet homme à l’imposante carrure, au sourire facile et au rire si communicatif.

Sa pudeur et sa gêne, c’est le slam qui les a vaincus. « Pour moi, le slam représente le moment où Jacky, qui écrit pour son tiroir et fait des films pour sa chambre sans jamais rien oser montrer, tombe sur une scène slam et prend une claque en voyant des gens oser dire ce que lui garde enfoui », souffle-t-il avec une honnêteté brute. Jacky manie les rimes, griffonne textes sur textes, assiste à des dizaines de scènes ouvertes. Puis un jour, en 2002, flanqué de ses deux copains Fabien et Sami, eux aussi passionnés par la prose et le basket, il rédige quelques lignes et décide de se lancer dans le grand vide. Sa première scène slam. Standing ovation. « À ce moment-là, il se passe un truc en moi. Ça a tout changé. »

Jacky adopte alors le pseudo de John Pucc’Chocolat, Fabien celui de Grand Corps Malade et Sami devient le Comte de Bouderbala. Ils lancent le collectif Slam Aleykoum, incarnent cette bande de potes, des rêves plein la tête, conscients de leurs conditions sociales mais pour qui tout semble possible. Des grandes ambitions et des projets plein les poches, ils résument avec simplicité l’audace qui les porte dans « Ça peut chémar ! » (2006) : « Quels que soient les domaines : social, culture ou dans le sport / Il nous fallait tenter notre chance, on ne pouvait pas avoir tort / Des idées les plus farfelues aux projets les plus tangibles / Étions-nous simplement têtus, rien ne paraissait inaccessible. »

Cette catharsis par l’écriture, Jacky désire la transmettre aux jeunes. Il s’investit au sein du projet Moteur ! qui propose aux 14-22 ans de réaliser un court-métrage, et anime des ateliers de slam. « Avant de réciter les textes qu’ils écrivent, je leur dis toujours : « brave ta peur, tu vas voir, ça va te libérer » », raconte-t-il. Car pour lui, le slam ne juge pas, et au contraire, les mots guérissent. Depuis février 2023, l’Audonien organise aussi une scène ouverte, intitulée Scala Maleikoum en hommage à son collectif de jeunesse et à ses partenaires de plume, chaque deuxième lundi du mois au bar de la Scala à Paris (la prochaine scène aura lieu le 13 mars 2023).

Acteur à l’international

Curieux, Jacky Ido démarre d’abord sa carrière au cinéma derrière la caméra, et monte des petits projets sans prétention en tant que réalisateur. Puis à force de travail, Jacky se fait repérer. En 2005, il décroche le premier rôle d’un guerrier Massaï dans The White Massai, une production allemande. Pendant cinq mois, il entreprend un travail colossal, apprend l’allemand, le swahili et le maa, suit un entrainement physique, s’immerge dans la vie des peuples Samburu au Kenya avec qui il tourne.

« Comme on est venu me chercher, j’avais beaucoup de pression. Je voulais montrer à l’équipe qu’elle ne s’était pas trompée sur son casting. Alors j’ai traversé ce tournage en étant le porteur de la parole des Samburu. Quand eux m’ont validé, c’est ce qui m’a donné ma légitimité et m’a aidé à me sentir moins comme un imposteur », confie-t-il. À sa sortie, le film fait trois millions d’entrées en Allemagne.

En 2009, consécration : Jacky interprète Marcel dans Inglorious Basterds de Quentin Tarantino. Acteur caméléon, il enchaîne les productions et collabore aussi bien avec Claude Lelouch que Jonathan Cohen dans la récente série Le Flambeau (2022). Il s’exporte en Allemagne, aux États-Unis, rejoint le casting de Taxi Brooklyn en 2014 et varie son répertoire. « Je suis toujours hyper reconnaissant des opportunités qui arrivent sur mon chemin. Et en même temps un peu halluciné de travailler avec les réalisateurs que j’étudiais petit ! »

Malgré ses succès, Jacky refuse d’être singularisé, d’être mis sur un piédestal. « Quand je suis en position d’aider les auteurs à accomplir leurs visions, je me donne à 400 %. J’ai pris confiance en ma pratique petit à petit. Mais je me rendais aussi compte que je vivais le rêve de beaucoup de gens, et je crois que je m’en suis trop excusé », révèle-t-il avec un léger sourire.   

Pour continuer d’enrichir sa palette d’artiste, il fait ses débuts sur les planches, en 2022. À l’affiche du monument du théâtre français : Bérénice, aux côtés de Carole Bouquet. Il y incarne, avec finesse, Antiochus. « Jouer au théâtre, c’est ce qui réconcilie le gars du slam, l’auteur de poésie, et l’acteur. Car Racine est un des plus grands slameurs de France, et c’est magnifique de pouvoir porter cette parole sur scène. »

Un authentique au milieu des excentriques

Pour Jacky, la question de sa légitimité le suit partout, à chaque nouveau projet. Il sait qu’il ne rentre pas dans le moule de la célébrité hollywoodienne, mais qu’importe. L’Audonien n’oublie pas d’où il vient. « Quand je revenais de trois mois dans un hôtel de luxe, Sami venait me chercher et il m’emmenait toujours devant les blocs de cité, jusqu’à la sandwicherie grecque du quartier. Il ne disait rien, il aimait juste voir mon visage pendant que je revenais à la réalité », se rappelle-t-il.

Car à mesure que sa carrière décolle, Jacky aussi s’envole : à Berlin, aux États-Unis, au Japon… Mais ses attaches restent et demeurent toujours dans sa banlieue du Nord parisien. C’est pour cela qu’à la naissance de son premier fils, en 2008, le comédien pose ses valises à Saint-Ouen, « pour donner à ses enfants la même base que lui ». La fierté de son passé, de s’être affranchi d’une détermination sociale, qui lui colle à la peau.

« À l’étranger, le regard qu’on portait sur moi n’était pas le même regard de marginalisation qu’on portait en France sur les jeunes de cité. Mais dès que je revenais chez moi, j’avais envie de montrer aux gens de banlieue, comme moi, que c’était possible d’aller plus loin, de sauter plus haut. » Dans ce milieu qui vénère les excentriques, Jacky, lui, vend de l’authentique. De l’humilité. « Beaucoup de gens m’ont pris pour un benêt, m’ont trouvé trop naïf. Mais j’assume. Je n’ai jamais cru que notre identité se fait quand on se regarde dans un miroir. Elle commence dans les rencontres. » Alors au gamin qu’il était, celui qui a su braver ses peurs et sortir ses textes de son tiroir, il n’a qu’une chose à lui dire : reste généreux et continue d’oser.

RFI

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