La justice annule le renouvellement de l’agrément judiciaire de l’association Anticor

La justice annule l’arrêté renouvelant l’agrément judiciaire qui permettait à Anticor d’intervenir en justice dans des dossiers de lutte contre la corruption.

La justice a annulé vendredi l’arrêté renouvelant l’agrément judiciaire qui permettait à Anticor d’intervenir en justice dans des dossiers de lutte contre la corruption, ce qui fait craindre aux dirigeants de cette association « des impacts très négatifs » pour plusieurs affaires politico-financières en cours.

« L’agrément a été annulé » par le tribunal administratif de Paris, « avec effet rétroactif au 2 avril 2021 », date de l’arrêté attaqué, a indiqué à l’AFP Elise Van Beneden, présidente d’Anticor depuis 2020. Frédéric Thiriez, l’avocat des demandeurs, deux dissidents de l’association, a confirmé cette information, mais attend de recevoir la décision pour la commenter.

Plaintes rendues plus difficiles
Sans l’agrément, il sera très difficile pour l’association de déclencher de nouvelles poursuites, puisqu’elle ne peut plus déposer de plaintes avec constitution de partie civile, sauf à démontrer un « préjudice personnel et direct ». Cela signifie aussi qu’elle n’est plus partie civile dans les affaires où elle s’était constituée après avril 2021.

Créée en 2002, Anticor était impliquée jusqu’alors dans 159 procédure en cours, selon sa présidente, dont l’attribution du Mondial de football au Qatar, l’enquête pour prise illégale d’intérêts visant le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, ou celle contre le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République… C’est en raison de ce dernier dossier que le renouvellement avait été signé par l’ex-Premier ministre Jean Castex et non par le ministre de la Justice, après des mois d’incertitude.

Plus récemment, des poursuites ont été déclenchées par une plainte d’Anticor dans le dossier de la cession de la branche énergie d’Alstom à General Electric ou encore dans les contrats russes d’Alexandre Benalla.

Protestation de plusieurs députés
Selon deux spécialistes de la procédure pénale interrogés par l’AFP, très peu de dossiers seraient menacés d’annulation pure et simple, mais certains points de la procédure pourraient être contestés et l’avancée des informations judiciaires reposerait entièrement sur le juge d’instruction. Or « il y a des instructions où on est très actif, en lien avec les lanceurs d’alerte anonymes, qui nous donnent des documents qu’on fait parvenir au juge d’instruction. On peut aussi lui glisser des pistes » pour suggérer certaines auditions de témoins, a souligné Elise Van Beneden.

Anticor entend contester la décision devant la cour administrative d’appel de Paris et déposer rapidement « une demande de nouvel agrément », a précisé l’avocate. « La légitimité d’Anticor à bénéficier d’un agrément ne fait aucun doute. L’exécutif doit assurer au plus vite (son) renouvellement » avec « un arrêté juridiquement inattaquable », a estimé dans un communiqué Transparency International, l’une des deux autres associations titulaires d’un agrément anticorruption, avec Sherpa.

Anticor tiendra une conférence de presse à Paris à 16H00, en présence de « députés qui soutiennent l’association », le patron des députés LR Olivier Marleix et l’élue LFI Raquel Garrido, a indiqué Elise Van Beneden. D’autres élus ont exprimé leur soutien sur Twitter. « Sans Anticor, combien de scandales de corruption n’auraient pas vu le jour ? », s’est interrogée l’eurodéputée LFI Manon Aubry, dénonçant une « décision scandaleuse et incompréhensible ».

La cheffe de file des députés LFI Mathilde Panot y voit « une nouvelle attaque contre les libertés associatives », tandis que l’eurodéputé Gilbert Collard (Reconquête) a estimé que « cela (allait) faire l’agrément de tous les corrompus ».

« Erreur de droit »
Deux dissidents d’Anticor avaient saisi la justice en juin 2021, estimant la procédure de renouvellement irrégulière et jugeant que l’association ne remplissait pas les conditions exigées: activités indépendantes et désintéressées, information des membres sur la gestion… A l’audience, le 12 juin, la rapporteuse publique avait estimé que l’arrêté était « clairement entaché » d’une « erreur de droit ».

La loi « ne prévoit nullement la possibilité pour l’administration de passer outre le non-respect » des conditions nécessaires pour l’agrément « au prétexte que l’association prendrait l’engagement de s’y conformer pour l’avenir », avait-elle argumenté.

La rapporteuse publique avait aussi minimisé la portée d’une annulation de l’agrément, affirmant que « l’intérêt général (…) ne serait pas affecté », puisqu' »une fois les poursuites engagées, le ministère public n’a pas la possibilité d’y renoncer ». « L’agrément a justement été créé parce qu’il y a un problème avec le procureur de la République. La question politique derrière, c’est que les associations anticorruption dérangent énormément », a estimé Me Elise Van Beneden, qui avait déjà vu des motifs politiques dans le laborieux renouvellement de 2021.

AFP

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